Les flammes bleues dansaient sur le plafond, enfouie sous les édredons j’écoutais le bruit du poêle et essayais d’entendre la respiration de ma petite sœur qui dormait dans le lit d’à coté. Silvain n’avait pas encore montré le bout de son nez et notre petite famille se comptait à quatre. Aussi loin que je me souviennes de la nuit de Noël j’ai en mémoire ces petites flammes bleues qui accompagnaient mes insomnies d’enfant qui attendait avec impatience le matin pour voir si les paquets étaient bien sous le sapin.
Comme j’ai aimé ces fêtes de Noël où nous nous retrouvions tous les 24 et le 25 décembre à Vayres dans la maison familiale de mes grands-parents maternels. Et c’est que la famille est grande : sept enfants, seize petits-enfants sous l’œil toujours vigilant de grand-père Henri et mamie Gisèle. C’était réglé comme le papier à musique du piano de la pièce du fond. Nous arrivions le 24 les bras chargés des victuailles de dernières minutes, des envies de retrouvailles avec les cousines, les impatiences des petits et des grands de partager la magie de la tendresse que nous allions trouver. J’avais vite fait de poser les paquets sur la table de la cuisine où se bousculaient déjà les bocaux, les pots, les plats, les louches. Papa retrouvait les « hommes » pour la traditionnelle ouverture des centaines d’huîtres. Je finissais toujours par me mettre pas trop loin pour pouvoir grappiller une huître l’air de rien par gourmandise. Les discussions étaient toujours les mêmes d’année en année : la chasse, la pêche et la politique. Papa avait dit du bout des lèvres en embrassant sa belle mère « Bonjour maman » et elle lui avait passé la main sur la joue avec un sourire. Il avait mis tellement de temps avant de l’appeler comme ça.
La ribambelle de filles (nous étions sept) et le seul garçon (il a beaucoup souffert !) prenaient possession des espaces laissés libres dans la salle à manger. Nous ne nous voyions pas souvent mais nos retrouvailles étaient toujours impregnés des souvenirs de l’été passé à Vayres. Nous avions l’épreuve des bulletins scolaires à présenter à grand-père Henri, le traditionnel défilé du bisou chez Maminouche, mon arrière grand-mère qui avait forcément dans un coin un chocolat ou un marron glacé. Maman et ses sœurs s’affairaient à la cuisine pour finir la préparation du repas et nous finissions au coin de la cheminée pour nous raconter nos secrets loin des oreilles parentales. J’ai encore à l’oreille les bruissements de ces soirées, les éclats de rire, le craquement du bois dans la cheminée. J’ai encore aux papilles les odeurs du cuisseau de chevreuil qui grille dans le four de la gazinière, celles des Trompettes que grand-père avait ramassé à l’automne dans ses coins restés secrets. J’ai encore dans les yeux les petites flammes bleues qui dansaient sur le plafond lorsque l’heure était venue d’aller rejoindre les étoiles.
Ces Noëls là n’existent plus, au fil du temps il y eu des places vides à table, et puis les tablées de mon enfance sont devenues des souvenirs. Pourtant la magie est toujours là. Des petits visages sont arrivés et me rappelle que les lutins et les fées existent encore, le regard des grands-mères et des arrières grands-mères sont toujours là, ceux des grands-pères aussi éternellement gravés dans mon coeur malgré les absences. Maman est devenue mamie et c’est elle maintenant qui dresse la table et ouvre ses bras. Au bout de la table, je serais l'ainée et maman sera à la place du coeur. Dans les yeux de maman il y a le même reflet que dans ceux de grand-père Henri, dans les yeux de maman il y a la même tendresse que dans ceux de mamie Gisèle. C’est certainement ce que l’on appelle la magie de Noël.
Je souhaite à tous et toutes un merveilleux Noël en espérant qu’il soit pour tous une parenthèse de bonheur. Moi ce soir je sais que je vais encore voir les petites flammes bleues sur le plafond ...