Je lisais avec un brin d'amertume l'article de Jean-Philippe Remy, envoyé spécial du Monde à Balfour, township de Siyathemba en Afrique du Sud. Il y relate ce que je connais de ce pays et dont peu de monde parle pour ne pas ternir l'image d'une Coupe du Monde à venir. Les Casspir sont de retour. Ces monstres de blindés anti émeute conçus par les services de sécurité de l'apartheid ont repris du service pour contenir les nouvelles toy toy, ces manifestations violentes qui ont émaillé dans les années 80 l'histoire de l'Afrique du Sud, et qui reviennent.
La célébration des 20 ans de la libération de Madiba est bien loin de ces townships qui n'ont cessé de fleurir en périphérie des grandes et petites villes. Certes les amoureux du ballon rond ne les verront sans doute pas. Des murs étaient en construction pour les cacher aux yeux du monde le long des grands axes autoroutiers lorsque j'étais en Afrique du Sud en septembre dernier. La réalité rattrape toujours le temps qui passe. Jean-Philippe Remy écrit : "Là-bas" : à Siyathemba, le township. A 10 kilomètres de Balfour à travers champs. Une majorité de baraques de tôle. Taux de chômage : vertigineux, comme le niveau de corruption de la municipalité. Services publics : proche de zéro. Vingt ans après la libération de Nelson Mandela, il n'est pas une ville, pas un village, qui ne soit bordé d'un bidonville, comme autant de reproches.
Certes les touristes visitent Soweto en bus à impériale, certes des centaines de maisons sont construites chaque jour pour loger les plus pauvres mais la rancoeur engendre la colère et la colère la violence, poison aussi sûrement mortel que le cyanure pour la Rainbow Nation. Une centaine de ces manifestations violentes ont eu lieu l'an passé. La haine engendrée par la misère, le chômage, l'alcool, la drogue, le SIDA, se retourne contre les étrangers installés qui cristallisent tous les ressentiments et la violence.
A la libération de Nelson Mandela, puis avec son accession à la présidence, l'Afrique du Sud connu un état de grâce. Madiba a su avec un charisme aussi fort que celui de Gandhi à son époque, convaincre ce géant de l'afrique qui représente plus de la moitié du PIB du continent africain d'être la nation de la concorde, la Nation Arc en Ciel. Je me souviens avoir eu lors de mon premier voyage en Afrique du Sud le sentiment que ce pays était un chaudron dont on avait fermé le couvercle mais laissé le feu allumé en dessous. Il semblerait que Jacob Zuma, l'actuel président d'Afrique du Sud soit confronté de plein fouet aux espoirs déçus, aux rêves brisés par la paupérisation et la criminalité. Comme l'écrit André Brink, l'heure est à la "rancoeur". Il parle dans son livre de la dégradation de l'image de l'ANC, dénonce le manque d'intégrité prenant des exemples comme les sommes pharaoniques versées par l'ancienne ministre de la Santé à l'auteur dramatique Mbongeni Ngema pour qu'il écrive et produise une pièce contre le SIDA alors que les hôpitaux manquent de fonds, que les personnels soignants ont un salaire de misère.
Oui la colère gronde en Afrique du Sud et le malaise est palpable pour qui sait prendre le temps de sortir des sentiers battus. Il semblerait même que Madiba et l'anniversaire de sa libération n'y changent rien. J'ai il y a longtemps était bousculé par ce pays et ses habitants. L'Afrique du Sud a poussé le désir de réconciliation jusqu'au bout des symboles : Le Nkosi Sikelele Afrika, hymne africain de l'espoir, a été mis sur le même niveau que le Die Stem, chant célébrant la rébellion des Boers de Stagtersnek en 1816. Les chants ont été fusionnés pour créer l'hymne national sud-africain. Beau symbole ! Mais la plupart des sud-africains semblent ne pas pouvoir ou ne pas vouloir le chanter dans son intégralité.
"Nous sommes conscients que la route vers la liberté n'est pas facile. Nous sommes conscients qu'aucun de nous ne peut réussir seul. Nous devons donc agir ensemble, comme un peuple uni, vers une réconciliation nationale, vers la construction d'une nation, vers la naissance d'un nouveau monde. Que la justice soit la même pour tous. Que la paix existe pour tous. Qu'il y ait du travail, du pain, de l'eau et du sel pour tous. Que chacun d'entre nous sache que son corps, son esprit et son âme ont été libérés afin qu'ils puissent s'épanouir. Que jamais, jamais plus ce pays magnifique ne revive l'expérience de l'oppression des uns par les autres, ni ne souffre à nouveau l'indignité d'être le paria du monde. Que la liberté règne. Que le soleil ne se couche jamais sur une réalisation humaine aussi éclatante ! Que Dieu bénisse l'Afrique ! "
C'est par ces mots que Nelson Mandela finira son discours d'investiture à la présidence de l'Afrique du Sud en 1994. Il semblerait qu'il ne soit pas resté assez longtemps au pouvoir pour laisser l'empreinte nécessaire à la réalisation de ces rêves. L'Afrique du Sud se réveille de son rêve et elle semble avoir bien mal.
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