28 juin 2008
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Elle a les yeux comme de petits papillons qui vont de fleur en fleur. Du haut de ses 4 ans et demi elle m'étonne toujours autant par sa capacité à s'émerveiller et à grandir tranquillement en appréciant chacun des petits bonheurs qu'elle découvre. Avec sa petite valise rose, elle débarque dans la maison comme une étoile qui tombe du ciel et prends sa place tout naturellement. Aujourd'hui en ouvrant les yeux elle a décidé que nous allions faire la cuisine. Mais pas n'importe laquelle elle veut faire les pâtes de Nonno Egénio. Elle n'a eu de cesse que de trouver le grand tablier blanc, les torchons à carreaux rouges et blancs et de sortir la farine et les oeufs du panier.
Je laisse faire et nous prenons possession de la cuisine. Elle a mis le tablier blanc tant bien que mal et s'est hissée sur le tabouret à coté de moi pour être à hauteur. La magie peut alors opérer. C'est un peu notre rituel à nous : de l'eau, de la farine et des oeufs. L'alchimie secrète de la recette de nonna Pascua, mon arrière grand-mère italienne, fait son oeuvre. Léa jubile, elle pétrit avec application imitant mes gestes le tas de farine, l'eau et les oeufs d'où apparaîtra cette boule de pâte qui ravira son palais à l'heure de passer à table. L'heure passe, faite de fous rires : nous avons nos peintures de guerre faites de farines sur le nez et les joues ... qu'importe ! Entendre les rires et les commentaires de ma nièce n'a pas de prix. J'ai recouvert la boule de pâte du torchon blanc ancestral, celui sans doute que Nonna Pascua a ourlé de ses mains prenant les vieux draps d'un autre temps. Léa rêveuse la tête posée sur son bras semble regarder intensément le mystère du repos de la pâte.
Brisant un peu sa rêverie, je lui propose d'aller dans la réserve. La vielle armoire est là souvenir d'un temps où l'instituteur de ma grand-mère y rangeait les trésors de son savoir. Aujourd'hui c'est moi qui ai la clé au bout d'un ruban bleu. Dans le fond de cette petite armoire j'y stocke mes trésors, ceux de la gourmandise : les bocaux colorés, les fioles du nectar de mon enfance, les pots de confitures, les tomates séchées, les poivrons à l'huile d'olive ... Léa ouvre des yeux ronds, joint les mains devant son visage d'ange et un OH de gourmandise sort de sa bouche. Dans le panier que j'ai à coté de moi j'entrepose les victuailles prises sur les étagères : tomates séchées à l'huile d'olive, coulis tomate au basilic, oignons de Trébon, poivrons grillés, pesto, salsa verde, ail confit en chemise ...
Léa veut absolument m'aider à porter le panier. Aussi belle que les reines des romans de Dumas, fière comme Alexandre triomphant, elle savoure sa puissance ... elle va être initiée ... nous allons rien que nous deux faire la "salsa de pasta al forno". Elle va être là et du haut de ses petites années elle a compris que le moment serait rare et précieux.
Comme avec les confitures la magie opère. La fabrication de la sauce qui accompagne les lasagnes est une véritable histoire d'amour : celle de Nonna Pascua, femme dure au regard noir qui regardait satisfaite les tablées des moissons savourer ses lasagnes, plat de fête des petites gens ; celle de Nonno Egénio, mon grand-père, son fils, qui faisait ses mêmes lasagnes pour Noël pour nous rappeler le goût des bonbons de son enfance qu'il ne pouvait pas s'offrir, la mienne qui ait reçu en héritage la recette de ces pâtes et la "Titania" cette machine ramenée d'Italie il y a si longtemps, symbole de nos racines et de la réussite sociale des familles immigrées.
Voilà un matin de vacances, celui de Léa. Un matin où à sa manière elle m'a demandé : "Dessine moi un mouton" ... Le matin d'une petite princesse qui croit comme je l'ai cru enfant que les coccinelles sont des fées qui se cachent la journée pour pouvoir nous protéger.